J'ai fait beaucoup de rencontres intéressantes ces derniers jours. En voici deux.

Macao, 31 mars

Vladimir, 41 ans, est un ukrainien russophone vivant en Argentine depuis 15 ans. Nous nous sommes rencontrés mardi dans les rues moites de Macao, un réflexe de solidarité réciproque face à l'hostilité de cette ville, et nous avons partagé une chambre d'hôtel. Après quelques verres, Vladimir s'est révélé être très intéressé par la politique, notamment en Europe.

J'ai d'abord été ravi d'avoir un interlocuteur autant au fait de l'actualité et avec de telles connaissances. Puis, il m'annonce qu'il a suivi avec beaucoup d'intérêt les élections départementales françaises et ça s'est gâté.

Il ne croit qu'aux empires d'un seul tenant continental. Selon lui, avec l'Océan Atlantique, l'alignement de l'Union Européenne sur les États-Unis n'a pas de sens. Il se dit très satisfait de la montée de l'extrême-droite en France. Il se fiche éperdument du programme national du FN, mais espère un bouleversement des équilibres internationaux s'il arrive au pouvoir : d'abord l'affaiblissement voire une dislocation de l'Union Européenne suite à la sortie de l'euro, puis la soumission de la France à la Russie.

Ainsi, si je comprend bien ses propos, le succès de Marine Le Pen serait avant tout celui de Vladimir Poutine, son parti étant devenu ces dernières années l'agent de la Russie en France, financé et piloté par le kremlin (un prêt de 9 millions récemment, des soupçons de financement occulte...). Et la Russie doit être légitimement récompensée en cas de victoire.

Auparavant pro-européen, il a acquis ces convictions lors de l'intégration de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'Union Européenne en 2007, qu'il a vécue comme une injustice. Pourquoi ces deux pays ont-il été intégrés si rapidement, sans être pleinement conforme aux critères, alors que la candidature de l'Ukraine en 2005 n'a jamais été prise au sérieux ? Je lui ai répondu que l'Ukraine était encore dans la CEI à cette époque, dans l'aire d'influence russe, donc l'Union Européenne devait agir avec prudence vis à vis de son puissant voisin.

À cela, il m'a rétorqué que quand un pays désire vraiment s'unir avec un autre, il le fait, c'est tout. Quand l'UE veut l'Ukraine, elle tergiverse comme une pucelle et se cache derrière les bonnes manières. Quand Poutine veut l'Ukraine, il truque les élections, annexe la Crimée et envoie ses chars à Kharkov. Ça c'est un homme, ça c'est du désir, ça c'est de l'amour !

Sur ces mots, il avale son verre cul-sec et me tend une barre de chocolat noir en souriant.

Hong-Kong, 1 avril

Silver, 25 ans, est une chinoise de Hong-Kong. Je l'ai rencontrée lundi en ville et je suis rentré de Macao pour dîner avec elle hier soir. Travailleuse sociale, elle est impliquée dans la vie du quartier de Mong-Kok, qui fait partie de son « territoire ». J'en ai profité pour lui dire que j'étais choqué de voir que la quasi-totalité des mendiants à Hong-Kong étaient des personnes âgées, souvent de très vielles dames. Son explication est simple : Hong-Kong a une économie très libérale, avec seulement 4 % de chômage (donc, peu de jeunes à la rue), mais sans système de retraite.

Elle a aussi été très impliquée dans la révolution des parapluies l'année dernière, qui souhaitait défendre le suffrage universel et qui a été réprimé par les autorités. Elle est reconnaissante vis à vis du Royaume-Uni qui aurait traité Hong-Kong avec respect. Elle aurait voulu que son « pays » reste une colonie britannique, au moins la ville de Hong-Kong qui bénéficiait d'une concession perpétuelle, à la différence des territoires l'entourant.

Depuis la rétrocession, elle observe un changement de mentalité dans la population, principalement chez les personnes âgés (qui sont une force politique puissante, Hong-Kong connaissant comme l'Europe un papy boom) qui considèrent de plus en plus que la démocratie est un concept occidental pas adapté à la mentalité chinoise et n'ayant pas sa place à Hong-Kong. Si le camp démocrate a obtenu 50,7 % des votes face au Front Patriotique pro-pékin lors des dernières élections, il n'a que 45% des sièges et perd du terrain. De toute manière, en 2047, le système politique de Hong-Kong sera complètement intégré à celui de la Chine.

Passionnée par l'histoire de l'Europe, l'héritage des lumières et la Révolution Française en particulier, elle rêve d'un réveil politique en Chine avant qu'il ne soit trop tard, mais n'y croit pas. Elle pense à déménager en occident.

Nos dimsums terminés, nous partageons un kit-kat au thé vert, parceque c'est bien bon et que ça console un peu.