Les échos venant de France me rendent de plus en plus las. Chaque semaine semble avoir sa polémique inutile. Hier, c'était les réactions à l'annonce de l'application de la réforme orthographique de 1990 dans les manuels scolaires ne l'appliquant pas encore.

Ce qui m'épuise, c'est la bêtise et la violence d'une grande partie de ces réactions. Il y en a mille exemples mais, pour préserver notre santé mentale, concentrons-nous principalement sur les réactions regroupées par un article choisi au hasard sur le Web.

Désinformation

Les mensonges concernent surtout la prétendue disparition de l'accent circonflexe :

  • "Oui, je suis sur Alice" / "Oui, je suis sûr Alice" voyez aucune différence la encore ? #JeSuisCirconflexe
  • "Je vais me faire un petit jeûne" / "Je vais me faire un petit jeune" / De l'importance de l'accent circonflexe.
  • Ne pas confondre un homme mûr, et un homme mur. #JeSuisCirconflexe

Ce sont des exemples amusants, mais malhonnêtes car l'accent circonflexe est conservé dans ces cas là, pour distinguer les mots entre eux.

Concernant ceci :

Non, la réforme orthographique ne concerne pas les noms propres.

Franchement, je ne suis pas fan de tous les aspects de cette réforme (le retrait des circonflexes sur certains "u" et "i", par exemple, je n'aime pas ça moi non plus, surtout quand on perd l'étymologie) et je laisse délibérément mon ordinateur configuré sur l'orthographe prè-90. Mais ce n'est pas la peine de raconter des bêtises.

Et il y a de jolies choses, aussi, dans cette réforme. "Nénufar", par exemple, c'est bien plus charmant et logique que "nénuphar".

Et puis, des réformes comme celle-ci, il y en a tous les 30 ans en moyenne :

  • Réforme de 1718 (2ème édition du dictionnaire de l'Académie) : les lettres J et V sont adoptées et différenciées du I et du U.
  • Réforme de 1740 (3ème édition) : un tiers des mots changent d'orthographe et les accents apparaissent (par exemple, « throne, escrire, fiebvre » deviennent « trône, écrire, fièvre, etc. »).
  • Réforme de 1762 (4ème édition)
  • Réforme de 1798 (5ème édition)
  • Réforme de 1835 (6ème édition) : on écrit désormais le t au pluriel dans les mots du type enfans et dans la conjugaison oi passe à ai (étoit devient était)
  • Réforme de 1878 (7ème édition) : on remplace certains ë par des e accentués comme dans poëte
  • Réforme de 1935 (8ème édition) : suppression de variantes admises jusqu'alors comme dans agraver. Et le e muet ne peut plus être remplacé par l'accent circonflexe.
  • Réforme de 1990 (9ème édition, en cours de rédaction), l'objet du scandale

Pas de quoi hurler à la défense du français éternel, donc. Et je me plais à supposer que l'hécatombe d’accents circonflexes, c'était plutôt en 1935.

À chaque faute son coupable

Alors pourquoi tant de désinformation sur ce sujet ? Je soupçonne les agités de ne pas s'intéresser tant que ça à cette réforme dont ils ne connaissent manifestement pas la teneur, mais d'y avoir trouvé une nouvelle raison pour faire du bruit et s'en prendre au gouvernement.

Qui est, au mieux, accusé de détourner son attention ou la nôtre (la faute à Hollande, en gros) :

  • "Qu'une mauvaise réforme, mise au placard 26 ans, entre en vigueur durant ce quinquennat, ne doit certainement rien au hasard"
  • "C'est donc le seul moyen qu'ils ont trouvé pour faire disparaître le chômage ? GENIOUS"
  • "Je vous avais promis d'alléger le chômage"

Au pire, de détruire la langue française, rien que ça (la faute à Belkacem, ici) :

Quelques petits rappels salutaires :

  • La réforme de 1990 est vielle de 26 ans (oui !).
  • "Il ne revient pas au ministère de l'Éducation nationale de déterminer les règles en vigueur dans la langue française. Ce travail revient à l'Académie française, depuis Richelieu."
  • Si l'Académie n'a pas été à l'origine de la réforme de 1990 (c'est le Conseil supérieur de la langue française qui l'a proposée), elle l'a bien approuvée en décembre de la même année.
  • Le gouvernement s'est prononcé en faveur de son utilisation (non obligatoire) au sein de l'administration à trois reprises (publications au Journal Officiel) : le 6 décembre 1990, le 19 juin 2008 et le 25 novembre 2015.
  • Son application dans l'ensemble des manuels scolaires de la rentrée 2016, décidé cette semaine et à l'origine du brouhaha actuel, est une initiative privée de la part des éditeurs de manuels.
  • Najat Vallaud-Belkacem, l'actuelle ministre de l'Éducation nationale, avait 13 ans en 1990.

Le dernier point me semble important. Maintenant que madame Taubira a quitté le gouvernement (il y a 5 jours), il est clair que ça sera madame Vallaud-Belkacem - souffrant de la triple malédiction d'être femme, colorée et de gauche - qui sera la cible privilégiée des désinformateurs de tout bord (exemple).

Je lui souhaite bien du courage pour la suite.