Je parcours le Tennessee cette semaine et, dans la continuité de mes découvertes de Détroit et Chicago, j'ai pu visiter de nombreux lieux emblématiques du blues, de la country, du rock'n'roll et de la soul. J'y vois plus clair maintenant, et je partage avec vous le petit mémo que je me suis fait ces derniers jours. Let's rock !

L'histoire de ces genres musicaux peut être tracée d'étape en étape, de ville en ville, le long des routes et des rivières, et semble suivre les grandes migrations des années 1930 et 1940. Au départ, il y avait le blues et la country, deux musiques séparées par les immensités américaines et par la question raciale. Elles vont pourtant se rencontrer.

Naissance du blues à Memphis

Le blues est une musique formalisée par W.C. Handy en 1909 à partir des musiques populaires noires de la plaine du Mississippi, en particulier celle des plantations de coton (exemple : Memphis Blues).

Avant la seconde guerre mondiale, c’était simple, le blues dominant était toujours celui de Handy, appelé Delta Blues et joué principalement à Memphis. Quelques exemples à écouter sous le soleil brûlant :

Naissance de la country à Dallas

La country a ses racines dans la musique folk des immigrants blancs européens. Elle a été "découverte" quand le texan Eck Robertson a réalisé les premiers enregistrements commerciaux en 1922.

Il s'agissait initialement d'une musique de cow-boys blancs jouée à l’ouest (Texas, Oklahoma, Arkansas). Quelques exemples à écouter en chiquant du tabac :

Migration de la country vers Nashville

Dans les années 1930, la catastrophe écologique du Dust Bowl a chassé 3.5 millions d’habitants des grandes plaines qui ont migré vers la Californie et la côte est.

Un grand nombre de musiciens country en ont profité pour s’installer à Nashville où était enregistrée une des principales émissions de radio du pays : le Grand Ole Opry. Le plus emblématique d'entre eux est Ernest Tubb.

La country s’y installe et s'y transforme peu à peu : le banjo est remplacé par la guitare, les chœurs et la rythmique prennent de l’importance et les arrangements deviennent plus riches. C’est le Nashville Sound, qui prendra sa forme définitive, très crooner, dans les années 1960 avec des titres comme Big Bad John et King Of The Road.

Mais, pour nos exemples, restons dans les années 1940. À écouter en buvant une bière bien tiédasse :

Les musiciens de country ayant migré en Californie réagiront à ces évolutions en créant le Bakersfield sound, plus fidèle à la country originelle, à la fin des années 1950.

Visites à faire : Le Country Museum de Nashville et les innombrables bars honky-tonk de la ville. Vous y croiserez peut-être l'énergique Jessica Rose.

Migration du blues vers Chicago

Memphis et Nashville étant à moins de 350 km l’une de l’autre, le blues et la country sont enfin côte à côte, prêts à se rencontrer.

Cependant, les musiciens de blues sont concernés par la seconde grande migration afro-américaine qui voit 5 millions de noirs fuir la rudesse et le racisme du sud des États-Unis pour les grandes villes du nord, comme Chicago et Detroit, à partir des années 1940.

Au début des année 1950, Muddy Waters, Howlin' Wolf, Willie Dixon, Earl Hooker et Koko Taylor ont déjà quitté le Tennessee pour Chicago, forgeant dans leur ville d’adoption un son nouveau autour d’un instrument révolutionnaire : la guitare électrique. Exemples à écouter en buvant un bourbon :

La scène blues de Memphis s'affaiblit, mais les chansons ne sont pas oubliées et séduisent peu à peu un nouveau public.

Visite à faire : Le Chicago Blues Festival qui se tient tous les ans en juin.

Naissance du rock’n’roll à Memphis

Les puristes diront que la première chanson rock’n’roll était When The Levee Breaks de Kansas Joe McCoy et Memphis Minnie en 1927. Oui, c'était en effet un heureux accident.

Mais c’est dans le studio Sun de Memphis que ce nouveau genre musical a été sciemment forgé par Sam Phillips, autour d'une idée simple : jouer des chansons blues à la manière country. Exemples à écouter en sirotant un milk  shake au bacon :

Visite à faire : Le Sun Studio surtout si c'est Lahna qui fait la visite.

Naissance de la soul à Memphis et à Détroit

Comme le rock'n'roll, la soul, annoncée dès 1954 par le titre I Got A Woman de Ray Charles, réunit la country et le blues, mais emprunte aussi au jazz et au gospel.

C'est en 1960 que le genre se développe, dans deux villes différentes. Les musiciens étant restés à Memphis ont enregistré pour Stax, à quelques kilomètres du studio Sun. Ceux étant partis à Détroit lors de la seconde grande migration afro-américaine se sont réunis autour de la Motown. Parmi ces migrants, nous retrouvons de nombreux musiciens des Funk Brothers : Joe Hunter, Bongo Brown, Benny Benjamin, Richard Pistol...

Exemples à écouter dans le vacarme d'une chaîne de montage (videz votre caisse à outil dans le sèche-linge si vous n'avez pas d'usine automobile à proximité) :

Visites à faire : Le Studio A à Detroit et le Stax Soul Museum à Memphis (n'oubliez pas vos mouchoirs).

Conclusion

À une époque où les médias de masse et l’industrie musicale étaient peu développés, ces genres musicaux suivaient les destins de leurs initiateurs : ils étaient plutôt stables tant que les musiciens restaient sédentaires, et se transformaient au gré des migrations.

Je n'ai donné dans ce billet qu'une vue d'ensemble. De nombreux sous-genres sont apparus dans les mêmes régions : hillbilly, honky-tonk, bluegrass, boogie-woogie, western swing, rockabilly... Mais il me faudrait des mois (et un blog entier !) pour retracer leurs histoires et mon visa touristique expire dans quelques jours. Je pars donc en Arkansas cet après-midi, terre de folk music.