On m’a prévenu plusieurs fois : les québécois n’aiment pas beaucoup les français.

Ne pas aimer les français ? Quelle drôle d’idée ! À part Tricia, une chicagoan complètement consumée par sa haine anti-français, je n’ai rencontré dans mon grand voyage que des amis de la France et de son peuple. Je l'ai déjà dit dans ces pages, plusieurs fois, nous bénéficions d'une aura parfois déconcertante.

Cependant, oui, certains québecois ont un peu de ressentiment contre les maudits français, de France, jugés trop souvent arrogants et méprisants. Il ne s'agit pas vraiment d'hostilité, mais d'un peu d'amertume.

Vexations

J’ai rencontré des québecois blessés, comme Kyrianne qui se remémore douloureusement les moqueries des routards français sur sa façon de parler lors de son année en Australie. Avec certains, elle n'était jamais prise au sérieux, quoi qu'elle dise.

Je l’ai pourtant trouvée très poignante quand elle m’a raconté comment les malins lui faisait misère en la faisant paraître niaiseuse.

J’ai rencontré des québécois sur la défensive, voire agressifs, comme Marie, qui m’a reproché avec beaucoup de virulence l’arrogance des colons français de Montréal qui viennent en pays conquis, sûrs de leur supériorité intellectuelle et linguistique.

Je l’ai pourtant trouvée très convaincante quand elle m’a dit qu’elle cognait des clous et préférait partir avant de me tirer ma pipe devant le débarcadère.

J’ai rencontré des québecois complexés, comme la petite serveuse qui m'a dit que mon Français est si joli alors que le sien est si moche. Je lui ai dit "mais noooon....", elle a baissé les yeux et m'a répondu "oh, ouiiiiii".

Je l’ai pourtant trouvée très élégante quand elle m'a proposé de servir mon breuvage à l'abreuvoir car ce n'est pas dispendieux.

Enfin, j’ai rencontré Sylvie qui, grâce à la maturité des 40 ans, a enfin dépassé tout ça, mais qui a toujours un peu d’émotion de la voix lorsqu’elle évoque les complexes qu'elle a trop longtemps eu à cause de sa pratique du Français.

Vocabulaire québecois

Comment on en est arrivé là ? Comment, à force de brimades, quelques individus ont pu traumatiser une population 10 millions de francophones sur leur propre territoire ? Et surtout, quelle honte y a-t-il à parler québecois ?

Parce que peinturer, c’est moins bien que peindre ? Écœurant doit forcément être un terme négatif ? N'est-il pas plus distingué de dire hambourgeois plutôt que burger ? Et tomber en amour, c'est si charmant !

Je trouve que les québécois parlent en général un très bon Français, avec des phrases tout aussi bien construites et un vocabulaire tout aussi bien maîtrisé que les francophones d'Europe.

De plus, valorisant les vocabulaires étendus, je préfère l'inventivité des québécois (enfarger, garnotter, magasiner... n'ont pas d'équivalents en Français standard) aux pratiques des français du Sud-Ouest qui confondent poches et sacs, ou autobus et autocars, et celles de ceux qui refusent d'admettre qu'une chocolatine est une viennoiserie distincte d'un pain au chocolat.

Accent québecois

Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas toujours tendre avec les accents régionaux en France, surtout quand ils gênent la bonne compréhension entre français ou quand ils semblent forcés par posture identitaire.

Mais, peut-on reprocher à une population qui a été isolée des autres francophones pendant si longtemps, des plaines d'Abraham en 1759 à l'apparition des médias de masse deux siècles plus tard, d'avoir développé un accent distinct ?

De plus, cet accent est-il vraiment plus ridicule ou incorrect que ma propre façon de parler ? Moi qui, comme beaucoup de français, n'utilise qu'un seul "o" alors que notre langue en a deux (/o/ et /ɔ/) et qui prononce épée comme épais, entre autres fautes.

♥ tout de même

J’ai rarement vu des francophones aimer, respecter et défendre autant la langue française. Les excès de l’OQLF sont l'illustration parfois grotesque d’un attachement véritable.

Et les québecois ne sont pas seuls : les acadiens du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse (Canada), et à moindre mesure ceux du Maine et du Vermont (États-Unis), déploient une énergie folle pour promouvoir sur leurs territoires un français pourtant devenu moribond, et obtiennent des résultats spectaculaires (+ 20% de francophones en 10 ans dans certains états).

Cependant, des débats toxiques comme celui sur l'endogénisme viennent freiner ces efforts et semblent largement nourris par le comportement de certains de nos compatriotes.

Il serait donc temps que les français de France cessent de vexer les français du Québec, car ce n'est pas digne, c'est infondé, et parce que la défense de notre langue commune est un effort collectif loin d'être gagné d'avance.