La frontière entre les Corée du Nord et du Sud, appelée Military Delimitation Line (MDL), est l'une des zones les plus fascinantes du monde, et considérée comme l'une des plus dangereuses. De chaque côté, de la Mer Jaune à la Mer du Japon, elle est entourée de la zone démilitarisée (DMZ) large de 2 kilomètres.
Il s'agit d'une surface sur laquelle la présence humaine, civile ou militaire, est acceptée (il y aurait même beaucoup de militaires sur place), mais aucune activité permanente n'est tolérée (donc, pas d'habitations, pas d'entreprises, et pour les militaires, pas de bases, ni d'équipements fixes). Dans toute la zone, chaque État n'a pu conserver qu'un seul village : la Corée du Sud a Daeseong-dong, un village de 160 habitants pas loin de Séoul ; la Corée du Nord a Kijong-dong, un… machin, pas très loin non plus.
Par train ?
Étant interessé par ce genre d’anomalies géo-politiques, j'ai souhaité me rendre dans la DMZ, mais ce n'est pas facile d'accès. J'ai d'abord voulu y aller par train, puisqu'il existe une ligne Séoul-Pyongpan. La ligne est cependant interrompue actuellement, et la dernière gare accessible depuis Séoul, la gare du Mont Dora, est évidemment située juste avant le début de la zone.
Cette gare-frontière est organisée comme un aéroport avec un contrôle d'identité et un scan des bagages aux rayons X, mais seulement pour les voyageurs par train. Et il est vain d'essayer d'atteindre la DMZ à pied depuis la gare car le poste de contrôle est situé à plusieurs kilomètres.
Et puis, attention au choc : la dernière vision du Monde Libre qu'on voit avant la DMZ est une photo de George W Bush. C'est moche, la guerre psychologique.
Par bus mais...
Depuis Séoul, on peut aussi aller à la DMZ par route. De nombreux tours-opérateurs proposent des allers-retours par bus. Il existe principalement deux formules :
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celle appelée "DMZ" coûte environ 50€ et dépose au Mont Dora
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celle appelée "DMZ - Panmunjeom" coûte environ 140€ et dépose à la Joint Securrity Area (JSA), qui a été jusqu'à récemment le seul poste frontière entre les deux Corées et le lieu le plus emblématique de la DMZ
Ayant un budget limité, j'ai pris la première option et ce fut une grosse erreur. En effet, contrairement à son nom, cette formule ne pénètre jamais dans la DMZ, le Mont Dora étant situé, comme sa gare, dans la commune sud-coréenne de Paju, à la limite extérieure de la DMZ. Mais le plus insultant, c'est la façon dont la mascarade est organisée.
Le bus s'arrête d'abord à une sorte d'aire d'autoroute correspondant à la Civilian Control Line (CCL), une délimitation n'existant que du côté Corée du Sud, ou un militaire jette un coup d'œil distrait dans le bus et vérifie négligemment quelques passeports. Le chauffeur du bus chauffe son public : "Danger ! Danger ! Security control ! DMZ control !". Comme beaucoup de passagers, j'en profite pour aller aux toilettes. On y trouve une carte de la comune de Paju, j'y notre emplacement, j'y vois la limite de la DMZ : plus de 5 kilomètres séparent les deux !
Le bus redémarre et traverse un pont qui est maladroitement maquillé en frontière : des blocs de bétons pour décorer sur le bord, des postes d'observations avec peinture camouflage sur les rives. Une fois arrivé de l'autre côté, le chauffeur hurle : "DMZ ! DMZ ! Danger ! Danger ". Pourtant, à gauche, nous avons des champs de gingembre et des entrepôts de marchandise, à droite…. une base militaire ! Une contradiction qui ne gène nullement le chauffeur : "American base ! Danger ! Danger ! DMZ ".
Sans être embouteillée, la route est assez fréquentée : d'autres bus de touristes victimes de la même arnaque que moi, mais aussi beaucoup de berlines qui se dirigent vers la ville nord-coréenne de Kaesong. En effet, certaines entreprises sud-coréenes se sont installées en Corée du Nord pour bénéficier de la main d'œuvre bon marché et des cadres et des hommes d'affaires font des allers-retours réguliers.
Le Mont Dora sert de poste d'observation, avec un monument dédié à la réunification. En insérant quelques piécettes, on peut regarder au travers d'une lunette. On voit en effet la DMZ au premier plan (elle ne serait qu'à 400 mètres...), et la Corée du Nord au fond (avec Kaesong et Kijong-dong). Outre l'aspect historique et politique, la vue vaut le coup pour le paysage : sans activité humaine permanente sur 2000 kilomètres carrés, la DMZ est devenu un paradis pour les plantes et les animaux.
Cependant, là encore, on nous fait croire qu'on est en pleine DMZ ("Danger ! Danger !"), aux portes du régime de Kim Jong-Un, malgré la présence de cartes de randonnées affirmant le contraire.
Je croise le regard d'une old lady anglaise. Elle aussi a compris la situation. Elle s'approche et me demande avec un petit sourire mi-triste mi-espiègle : "Disappointed ?". Oui.
Par bus !
Alors, oui, on peut y aller, dans cette fichue DMZ. Pour cela, il faut prendre l'autre formule, le bus "DMZ - Panmunjeom", qui pénètre effectivement dans la zone après un vrai contrôle de sécurité. Mais il faut y mettre le prix fort et demander une autorisation administrative trois jours à l'avance. Une fois dans la zone, il faut faire attention car elle contiendrait 1 million de mines, et, bien entendu, ne pas oublier de prendre le bus retour.
Ça sera peut-être pour une prochaine fois...