Aujourd'hui, j'ai fait un petit tour de lieux emblématiques du reggae à Kingston, principalement centré autour de la carrière jamaïcaine de Lee Perry, mais pas seulement.
Studio One (13, Brentford Road)
Depuis la fin des années 1950, le jeune Lee Perry bosse pour le DJ Coxsone Dodd. Lorsque ce dernier ouvre le mythique Studio One en 1963, il devient homme à tout faire du studio (vigile, ingénieur, compositeur...). Il finira même par chanter certains de ses titres.
Ma visite. Le studio n'est pas ouvert au public, mais j'ai interpellé quelqu'un qui m'a fait entrer. J'ai pu traverser les bureaux, visiter le dépôt de disques et voir la chaîne de collage des étiquettes. Tout à l'air inactif. Les photos m'étaient interdites, sauf dans une remise. On peut se servir dans le dépôt, le single peut cependant coûter jusqu'à 30 USD.
Tunes :
- Lee Perry & The Gaylets - How Come You Come [Prod. Lee Perry, 1968]
- The Abyssinians - Satta Massagna [Prod. Clive Hunt, 1969]
Muzik Record Shop & Upsetters Record Shop (36, Charles Street)
En 1968, Lee Perry devient producteur indépendant, monte son groupe de musicien, les Upsetters, et ouvre sa propre boutique. Une boutique stratégiquement placée près du croisement des deux rues les plus importantes du business reggae, juste à côté de celle de son ancien patron et pas loin de celle de son ami Prince Buster.
Ma visite. La boutique de Coxsone Dodd n'existe plus mais le bâtiment n'a pas changé, sauf la peinture. La bâtisse ayant accueilli celle de Perry, par contre, a été démolie.
Tune : Bleachers - Check Him Out [Prod. Lee Perry - 1969], il s'agit d'une chanson promotionnelle pour la boutique. Je l'écoute depuis 15 ans et j'ai seulement tilté aujourd'hui. “Just take a walk down Orange Street / Turn Charles Street / Then look for the Upsetter shop / Where music’s sweet”.
Prince Buster's Soul Shack (100, Orange Street)
La boutique de Prince Buster est elle aussi fermée, mais les murs n'ont pas été repeints, ce qui permet d'admirer les inscriptions.
Ma visite. En face de la boutique, il y a un sympathique petit bar, c'est le moment idéal pour une pause rafraîchissante.
Tunes :
- The Folkes Brothers - Oh Carolina [Prod. Prince Buster - 1960].
- Prince Buster & the all-stars - Shaking Up Orange Street [Prod. Prince Buster - 1967], tout un programme.
Rocker's (135, Orange Street)
La boutique d'Augustus Pablo a été établie à l’emplacement de la boutique Beverley's de Leslie Kong, mort du crise cardiaque en 1971, en bas de l'immeuble où Dennis Brown aurait passé ses premières années. Elle est toujours en activité et propose des singles d'occasion de tout label, ou des neufs du label maison. En face, plusieurs peintures de Dennis Brown et une de Pablo et son mélodica.
Ma visite. Le vendeur, Winston, m'a dit que Addis Pablo, le fils d'Augustus, était l’actuel patron de la boutique, mais qu'il était aux États-Unis en ce moment.
Tunes :
- Jacob Miller - Keep On Knocking [Prod. Augustus Pablo, 1974]
- Augustus Pablo - Java [Prod. Augustus Pablo, 1971]
Randy's Studio (16, North Parade)
Entre 1968 et 1973, Lee Perry est donc producteur indépendant, mais il n'a pas son propre studio. Il loue donc des créneaux d’enregistrement chez les autres, souvent nocturnes car c'est moins cher, notamment au Randy's Studio de Vincent Chin.
Ma visite. La porte était ouverte, alors je suis entré. C'est devenu une sorte de squat, avec des gens dormant sur le sol, mais le matériel est toujours là : les pianos, les machines... Il y a aussi une fin de stock de vinyles, que Kyle vend 10 USD chacun.
Tunes :
- The Wailers - Mr Brown [Prod. Lee Perry, 1970]
- Peter Tosh ft. Jackie Mittoo - Whistling Jane [Prod. Clive Chin, 1969]
Black Ark (5, Cardiff Crescent)
Toute fin 1973, Lee Perry achève la conception de son propre studio, dans la cour de sa maison de Washington Gardens, et la suite appartient à la légende.
Ma visite. C'était le gros morceaux. J'ai eu beaucoup d'émotion quand la maison bariolée a surgi devant moi. Le rasta en jaune sur la photo, c'est le voisin qui fumait à son portail quand je suis arrivé. Il semblait étonné de voir débarquer un touriste s'intéressant au studio, et m'a dit que je pouvais visiter l'intérieur et prendre des photos. Cependant, le maître des lieus (quelqu'un y habite !) n'a pas répondu à ses appels. Je vais donc repasser vendredi, sans garantie qu'il y ait quelqu'un.
Tunes :
- The Upsetters ft. Vin Gordon - 5 Cardiff Crescent [Prod. Lee Perry, 1975], son titre est l'adresse du studio
- The Congos - Ark Of The Covenant [Prod. Lee Perry, 1977], un bon exemple du "son" Black Ark
Et aussi... Trenchtown
Même si je n'y ai identifié aucun lieu marquant précis, ça fait quelque chose d'être dans ce quartier rendu célèbre par Bob Marley. La fête était excellente.
Tune : The Wailers ft. Wailing Souls - Trenchtwon Rock [Prod. Lee Perry, 1973], évidemment (enregistré au Randy's, d'ailleurs). Le refrain "Groovin' / It's Kingston 12..." fait référence au (désormais obsolète) code postal du quartier.
Conclusion
J'ai du mal à comprendre comment ce patrimoine peut se dégrader dans l'indifférence la plus totale. La musique, c'est ce qui place la Jamaïque sur la carte du monde depuis 60 ans (avec Usain Bolt, depuis peu). C'est une fierté culturelle.
Il y a un potentiel touristique très intéressant autour des musiques locales, mondialement connues et très appréciées. Le développer permettrait en outre d'amener du monde au centre-ville, plutôt que dans les resorts, afin que sa population puisse aussi profiter des retombées économiques.
Certes, il y a le Bob Marley Museum. Pas besoin que je vous fasse un dessin. L'entrée coûte une fortune, il n'y a rien de vraiment intéressant à y voir, et toute la carrière de Bob Marley est déformée par le prisme Rita Marley (qui a créé le musée) / Chris Blackwell (qui a acheté la maison). Peter Tosh et Bunny Wailers n'existent pas (sauf dans une vidéo où Marley les cite, avec Junior Braithwaite et Beverley Kelso). Lee Perry, Johnny Nash, Martha Veléz... sont absents. Le premier album cité est "Catch a Fire" (c'est le cinquième !), qui est présenté avec sa vilaine pochette "reissue". Le controversé "Confrontation" est l’album le plus mis en valeur. Rita est une femme formidable et ses enfants sont des génies.
Un bon moment tout de même : le passage dans le studio, qui permet d'écouter un enregistrement inédit de So Much Trouble In The World, beaucoup mieux que la version de Survival, ce qui n'est pas difficile.
Virtual SS
Tunes inside my head : bon, je crois que vous en avez eu assez dans le billet.
Tunes from the streets :
- Razor B - Hot Up
- Don Andre - Tom Cruise
- Bling Dawg - Kreech Dance