Le Dimanche 19 juin 2016 à Memphis
CC-BY-SA
Illustration : Larry Donald

Je parcours le Tennessee cette semaine et, dans la continuité de mes découvertes de Détroit et Chicago, j'ai pu visiter de nombreux lieux emblématiques du blues, de la country, du rock'n'roll et de la soul. J'y vois plus clair maintenant, et je partage avec vous le petit mémo que je me suis fait ces derniers jours. Let's rock !

L'histoire de ces genres musicaux peut être tracée d'étape en étape, de ville en ville, le long des routes et des rivières, et semble suivre les grandes migrations des années 1930 et 1940. Au départ, il y avait le blues et la country, deux musiques séparées par les immensités américaines et par la question raciale. Elles vont pourtant se rencontrer.

Naissance du blues à Memphis

Le blues est une musique formalisée par W.C. Handy en 1909 à partir des musiques populaires noires de la plaine du Mississippi, en particulier celle des plantations de coton (exemple : Memphis Blues).

Avant la seconde guerre mondiale, c’était simple, le blues dominant était toujours celui de Handy, appelé Delta Blues et joué principalement à Memphis. Quelques exemples à écouter sous le soleil brûlant :

  • Robert Johnson – 1936 - Walkin blues
  • Arthur Crudup - 1946 - That's All Right

Naissance de la country à Dallas

La country a ses racines dans la musique folk des immigrants blancs européens. Elle a été "découverte" quand le texan Eck Robertson a réalisé les premiers enregistrements commerciaux en 1922.

Il s'agissait initialement d'une musique de cow-boys blancs jouée à l’ouest (Texas, Oklahoma, Arkansas). Quelques exemples à écouter en chiquant du tabac :

  • Eck Robertson - 1922 - Sallie Gooden
  • Bob Wills & His Texas Playboys - 1944 - Smoke On The Water

Migration de la country vers Nashville

Dans les années 1930, la catastrophe écologique du Dust Bowl a chassé 3.5 millions d’habitants des grandes plaines qui ont migré vers la Californie et la côte est.

Un grand nombre de musiciens country en ont profité pour s’installer à Nashville où était enregistrée une des principales émissions de radio du pays : le Grand Ole Opry. Le plus emblématique d'entre eux est Ernest Tubb.

La country s’y installe et s'y transforme peu à peu : le banjo est remplacé par la guitare, les chœurs et la rythmique prennent de l’importance et les arrangements deviennent plus riches. C’est le Nashville Sound, qui prendra sa forme définitive, très crooner, dans les années 1960 avec des titres comme Big Bad John et King Of The Road.

Mais, pour nos exemples, restons dans les années 1940. À écouter en buvant une bière bien tiédasse :

  • Hank Williams - 1947 - Move it on Over
  • Chet Atkins - 1947 - Canned Heat

Les musiciens de country ayant migré en Californie réagiront à ces évolutions en créant le Bakersfield sound, plus fidèle à la country originelle, à la fin des années 1950.

Visites à faire : Le Country Museum de Nashville et les innombrables bars honky-tonk de la ville. Vous y croiserez peut-être l'énergique Jessica Rose.

Migration du blues vers Chicago

Memphis et Nashville étant à moins de 350 km l’une de l’autre, le blues et la country sont enfin côte à côte, prêts à se rencontrer.

Cependant, les musiciens de blues sont concernés par la seconde grande migration afro-américaine qui voit 5 millions de noirs fuir la rudesse et le racisme du sud des États-Unis pour les grandes villes du nord, comme Chicago et Detroit, à partir des années 1940.

Au début des année 1950, Muddy Waters, Howlin' Wolf, Willie Dixon, Earl Hooker et Koko Taylor ont déjà quitté le Tennessee pour Chicago, forgeant dans leur ville d’adoption un son nouveau autour d’un instrument révolutionnaire : la guitare électrique. Exemples à écouter en buvant un bourbon :

  • Muddy Waters - 1950 - Rolin Stone
  • Earl Hookers -1953 - Sweet Angel

La scène blues de Memphis s'affaiblit, mais les chansons ne sont pas oubliées et séduisent peu à peu un nouveau public.

Visite à faire : Le Chicago Blues Festival qui se tient tous les ans en juin.

Naissance du rock’n’roll à Memphis

Les puristes diront que la première chanson rock’n’roll était When The Levee Breaks de Kansas Joe McCoy et Memphis Minnie en 1927. Oui, c'était en effet un heureux accident.

Mais c’est dans le studio Sun de Memphis que ce nouveau genre musical a été sciemment forgé par Sam Phillips, autour d'une idée simple : jouer des chansons blues à la manière country. Exemples à écouter en sirotant un milk  shake au bacon :

  • Jackie Brenston & His Delta Cats - 1951 - Rocket 88
  • Elvis Presley - 1954 - That's All Right, qui est une reprise de la chanson blues d’Arthur Crudup présentée précédemment

Visite à faire : Le Sun Studio surtout si c'est Lahna qui fait la visite.

Naissance de la soul à Memphis et à Détroit

Comme le rock'n'roll, la soul, annoncée dès 1954 par le titre I Got A Woman de Ray Charles, réunit la country et le blues, mais emprunte aussi au jazz et au gospel.

C'est en 1960 que le genre se développe, dans deux villes différentes. Les musiciens étant restés à Memphis ont enregistré pour Stax, à quelques kilomètres du studio Sun. Ceux étant partis à Détroit lors de la seconde grande migration afro-américaine se sont réunis autour de la Motown. Parmi ces migrants, nous retrouvons de nombreux musiciens des Funk Brothers : Joe Hunter, Bongo Brown, Benny Benjamin, Richard Pistol...

Exemples à écouter dans le vacarme d'une chaîne de montage (videz votre caisse à outil dans le sèche-linge si vous n'avez pas d'usine automobile à proximité) :

  • Chez la Motown : The Miracles - 1960 - Shop Around
  • Chez Stax : Carla & Rufus Thomas - 1960 - 'Cause I Love You

Visites à faire : Le Studio A à Detroit et le Stax Soul Museum à Memphis (n'oubliez pas vos mouchoirs).

Conclusion

À une époque où les médias de masse et l’industrie musicale étaient peu développés, ces genres musicaux suivaient les destins de leurs initiateurs : ils étaient plutôt stables tant que les musiciens restaient sédentaires, et se transformaient au gré des migrations.

Je n'ai donné dans ce billet qu'une vue d'ensemble. De nombreux sous-genres sont apparus dans les mêmes régions : hillbilly, honky-tonk, bluegrass, boogie-woogie, western swing, rockabilly... Mais il me faudrait des mois (et un blog entier !) pour retracer leurs histoires et mon visa touristique expire dans quelques jours. Je pars donc en Arkansas cet après-midi, terre de folk music.

Commentaires

Un blog ! Un blog ! Un blog …

sophie

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Vendredi 24 juin 2016 - 16:47

Un blog ! Un blog ! Un blog ! Un blog !
et beaucoup de Johnny Cash et de Muddy Waters !

Très intéressant ! C'est mon rêve de parcourir le pays en suivant ces "routes" comme ça !
Bon t'es passé en Arkansas, j'espère que t'es allé à Kingsland, ville natale de Johnny Cash

Non, je ne suis pas allé à…

pierre

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Mardi 28 juin 2016 - 18:55

Non, je ne suis pas allé à Kinsgland.

Il y a plein d'autres visites à faire sur ce thème dans le coin. Déjà, à Chicago, il y a les studios Chess, que tu as déjà repérés. Mais aussi le Grand Ole Opry à Nashville, Trumpet Records à Jackson, le Rhythm Club de Natchez...

De quoi faire un beau voyage.

Très intéressant ! Y a des…

syb

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Mercredi 29 juin 2016 - 01:22

Très intéressant ! Y a des morceaux country que tu aimes ou que tu recommandes pour pouvoir essayer d'apprécier cette musique avec laquelle je n'ai que peu d'affinité.

Je ne peux pas vraiment dire…

pierre

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Mercredi 29 juin 2016 - 03:58

Je ne peux pas vraiment dire que j'aime la country. La plupart des chansons que j'ai écoutées étaient franchement dégueulasses. Et j'étais bien soulé après une semaine dans le Tennessee au point que je préférais que l'autoradio reste éteint.

Mais j'aime bien ce qu'est devenu le Nashville Sound lors de son apogée dans les années 1960, juste avant de disparaitre, car il est plutôt harmonique et groove, parfois épuré, loin du son banjo hillbilly épileptique dont il est issu.

Quelques exemples, dans l'ordre chronologique :

  • Chet Atkins - 1954 - Mister Sandman. Prod: Pat Ballard.
  • Tennessee Ernie Ford - 1955 - 16 Tons. Prod: Merle Travis (Los Angeles).
  • Frankie Laine - 1958 - Rawhide (avec une petite suprise à 0:46)
  • Jimmy Dean - 1961 - Big Bad John que j'ai mentionné dans le billet. Prod:Don Law (Nashville)
  • Johnny Cash - 1965 - I Walk the Line. Prod: Sam Phillips (Memphis).
  • Bob Dylan - 1969 - Lay Lady Lay. Tout l'album Nashville Skyline est de style country. Prod: Bob Johnston (Nashville).
  • Kris Kristofferson - 1969 - To Beat The Devil. Prod: Bob Johnston (Nashville).
  • Kris Kristofferson - 1970 - Me And Bobby McGee. Prod: Bob Johnston (Nashville).
  • Paul Siebel - 1970 - Louise
  • Neil Young - 1972 - Heart Of Gold . Prod: Elliot Mazer & Neil Young (Nashville)

Cette période est le seul moment de grâce pour moi. Aujourd'hui, la country c'est des machins comme The Angry American.

Je ne connaissais pas cette…

jane

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Mercredi 29 juin 2016 - 13:33

Je ne connaissais pas cette version calme et épurée de "Me and Bobby McGee, seulement celle de Janis Joplin que j'ai tant écoutée dans ma jeunesse. Elle reflète pour moi tout ce qui me bouleverse dans le blues et que j'ai retrouvé à Memphis, une immense puissance un peu désespérée mais malgré tout porteuse d'espoir.
C'est l'esprit de Memphis, cette ville noire et vibrante où Martin Luther King a été assassiné. Cette ville est pour moi le grand coup de cœur de ce dernier voyage aux USA. On y croise des bandes de jeunes danseurs noirs magnifiques, des musiciens de rue mais aussi tant de gens obèses, surtout parmi la population noire, plus pauvre. La junk food ne coûte rien là-bas....

@Jane: Kris Kristofferson…

pierre

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Mercredi 29 juin 2016 - 15:38

@Jane: Kris Kristofferson est l'auteur de Me and Bobby McGee et sa version précède celle de Janis Joplin.

Joplin et Kristofferson étaient amants pendant l'année 1970, pendant les enregsitrements de leurs versions respectives.

Memphis est un très bon souvenir pour moi aussi.

@Syb: Focalisé sur Nashville…

pierre

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Mercredi 29 juin 2016 - 16:20

@Syb: Focalisé sur Nashville, je n'ai pas cité le seul musicien country que j'aime vraiment (enfin, j'aime beaucoup Bob Dylan et Neil Young, présents dans ma liste précédente, mais ce ne sont pas des musiciens de country, juste des rockers folk touche-à-tout) : Lee Hazlewood, qui était basé à Los Angeles.

Quelque titres country du "psychdeleic cowboy" :

  • Duane Eddy & Lee Hazlewood - 1960 - The Girl On Death Row
  • Lee Hazlewood - 1963 - Son Of A Gun
  • Deana Martin - 1965 - Baby I See You
  • Nancy Sinatra & Lee Hazlewood - 1968 - Lady Bird
  • Lee Hazlewood - 1971 - I'd Rather Be Your Enemy

OOOOHHHHH lala, mais je suis…

sophie

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Mercredi 29 juin 2016 - 16:40

OOOOHHHHH lala, mais je suis ultra fan de Lee Hazelwood !!
celle que je préfère c'est "the night before" : https://www.youtube.com/watch?v=WwE5hUx2lMs

Génial, Lee Hazelwood ! Je…

jane

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Mercredi 29 juin 2016 - 19:55

Génial, Lee Hazelwood ! Je connaissais le son, la voix, bien sûr, surtout avec Nancy Sinatra sans connaître le personnage....

Et si tu nous faisais une petite compil des débuts de la STAX ? Quel que soit le nom qu'on lui donne - Soul, Rythm and Blues, Deep Soul, Memphis Sound - , cette musique nous va droit au coeurt . J'ai été très émue de découvrir leur histoire en visitant le musée STAX .Ils avaient une incroyable énergie et ont intégrés des musiciens blancs,ce qui était révolutionnaire à cette époque à Memphis.

C'est touchant aussi d'apprendre qu'ils ont pris conscience de leur importance en venant en Europe donner une série de concert en 1967, le STAX TOUR ! Oui, c'est toute la musique de ma jeunesse, si nouvelle pour nous à l'époque, incroyablement vivante et révolutionnaire après toutes ces années "De Gaulle". Alors, SVP, une petite compil pour les jours où j'aurai envie de ressortir mon mouchoir...

Pour moi, Stax, c'est Otis…

sophie

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Jeudi 30 juin 2016 - 15:23

Pour moi, Stax, c'est Otis Redding, Otis le Grand ! Otis le Magnifique ! J'aime bien imaginer le tournant qu'aurait pris sa carrière s'il était encore en vie....

  • Otis Redding - Down in the Valley
  • Otis Redding ~ Love Man
  • That's What My Heart Needs - Otis Redding (1963)
  • Otis Redding-Pain in My Heart
  • Otis Redding - Hard To Handle
  • Otis Redding These Arms Of Mine

@Jane : Formidable Rythm'n…

pierre

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Lundi 11 juillet 2016 - 00:36

@Jane : Formidable Rythm'n'Blues étant une compilation Atlantic (avec certains artistes Stax puisqu'il y avait de fréquentes collaborations entre le studio de Memphis et le label d'Atlanta), je conseillerai plutôt Stax 50th Anniversary Celebration qui contient des titres que tu apprécies, comme Green Onions ou Hold On! I'm Coming, et d'autres à découvrir.

Après, si tu en veux plus, il y a le volumineux Complete Stax-Volt Singles 1959-1968. qui a l'air très bien.

@Sophie: Merci pour la…

pierre

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Lundi 11 juillet 2016 - 00:36

@Sophie: Merci pour la sélection.

Otis Redding reste mon n°1 …

jane

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Mercredi 13 juillet 2016 - 09:42

Otis Redding reste mon n°1 du studio STAX, j’adore. Merci, Sophie pour la sélection. Sympa, Green Onions mais ma version préférée, c'est l'originale, celle qui accompagne depuis toujours mes départs en voyage, celle de Canned Heat. On the road again…

Et pour finir, sur le même thème, même titre, la chanson d’un grand voyageur bien de chez nous, Bernard Lavilliers.

Pourquoi dis tu que "On the…

pierre

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Mercredi 13 juillet 2016 - 18:56

Pourquoi dis tu que "On the Road Again" (1968) la version originale de "Green Onions" (1962) ? Parce que les deux titres adaptent le classique one-chord boogie riff ?

Ah, ce moment, ça serait ça Boogie Chillen de John Lee Hooker, le titre original. Et le plus connu, c'est sûrement La Grange des ZZ Top.

On the road again, pou poudoum poudoum poudoum...

OH MY GOSH ! SO SORRY ! C…

jane

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Mercredi 13 juillet 2016 - 20:00

OH MY GOSH ! SO SORRY ! C’est bien trop compliqué pour moi, mais sans vouloir te contredire et surtout sans vouloir me lancer dans une bataille d’expert que je ne peux que perdre, il y a une autre version de l’origine du morceau sur Wikipedia :

On the Road Again est une adaptation d'une chanson de blues écrite par Floyd Jones en 1953, elle-même adaptée d'un de ses propres succès, Dark Road, datant de 1951. Ces deux compositions s'inspirent enfin de la chanson Big Road Blues de Tommy Johnson de 1928

Alors, la cuisine islandaise ?

Je ne suis pas plus expert…

pierre

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Jeudi 14 juillet 2016 - 12:19

Je ne suis pas plus expert que toi sur le sujet.  Don't be sorry, Jane!

On The Road Again semble avoir une longue histoire, en effet. Mais, en me référant seulement à mon oreille, je ne reconnais rien du titre de Canned Heat quand j'écoute Big Road Blues de Tommy Johnson, alors que la connexion du riff de guitare avec celui de Boogie Chillen me semble évident.

La cuisine islandaise ? Ben, vu le prix de la vie ici (plus de deux fois les prix parisiens, encore plus cher que la Norvège ou le Japon), je me nourri pour l'instant de hot dogs et de wasas.

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