Me voici arrivé sur la côte de l’Océan Indien. Si je suis mon plan initial, mon voyage va désormais consister à suivre la cote océane jusqu’à la Namibie, en commençant par traverser les terres swahili pendant 2000 km.

Les swahilis (de l’arabe sawahil, "les côtes") sont un peuple né de la rencontre, à partir du 7ème siècle, entre les habitants bantous de l’Afrique de l’Est et les marchands arabes et perses. De cette civilisation autrefois puissante, il reste aujourd’hui principalement l’influente langue swahili et les restes romantiques de nombreuses de cités-états.

Lamu est l'une d'entre elles. Cette magnifique petite ville du 14ème siècle, réunissant 20 000 habitants dans un cadre exceptionnel a été classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2001. Ayant son propre aéroport, située dans un pays stable, au développement rapide et sachant accueillir les touristes, Lamu a consolidé son positionnement comme une destination hippy-chic dans les années 2000.

Un dimanche après-midi à Mpeketoni

Cependant, au tournant de la décennie, la situation devient inquiétante. La Somalie voisine (seulement 100km) a replongé dans la guerre civile. Les islamistes d'Al-Shabaab font des incursions répétées dans le territoire kényan, conduisant en octobre 2011 à la mort de Marie Dedieu et à l'intervention de l’armée kényane. C'est la fin de l'innocence.

Le 15 juin 2014, tout bascule. A midi, le journaliste Cheti Praxides s’inquiète pour Lamu : ces menaces font fuir les touristes. En effet, les réservations sont en baisse de 85 %, les marges en baisse de 90 %, certains hôtels ont congédiés 80 % de leurs équipes.

5 heures plus tard, à Mpeketoni, 50 hommes venus de Somalie détournent un mini-bus, attaquent le poste de police puis mettent le feu à plusieurs hôtels, tuant ainsi entre 53 et 61 personnes, principalement des kikuyus (et 15 de plus lors d'une deuxième attaque 2 jours plus tard). Même si ces attaques ont eu lieu a plus de 20km et n'ont pas ciblé de touristes étrangers, elle furent le coup fatal pour Lamu.

Le blues des beach boys

Septembre, c'est la basse saison. Les adolescents s'ennuyant sur les quais me le répètent à chacun de mes passages, comme pour s'excuser du vide.

Mais Lamu n'est pas désert. Si les voyageurs sont absents, sa population (qui vivait à 80 % du tourisme en 2014) est restée. Les beach boys (rabatteurs pour les hôtels, les restaurants et les excursions, certains d'entre eux se prostituent), beaucoup trop nombreux face aux quelques visiteurs, sont désespérés et parfois agressifs. Babu a craqué nerveusement quand il a appris que j'avais choisi le dhow d'un concurrent.

Certes, je croise lors de mes déambulations de nombreuses espagnoles. Mais celles-ci sont volontaires à l’hôpital ou chez Afrikable. Je croise des ânes, aussi, des milliers d’ânes ("Lamu is the Donkey capital of the World"), qui doivent se féliciter de ne plus avoir à porter de touristes sur leurs dos.

Ruines

L’Olympus a quitté son fier bâtiment du front de mer, le délicieux restaurant indien est désormais établi dans le petit salon de son propriétaire. La ville n’arrive plus a entretenir les merveilles architecturales qui ont fait sa réputation, et de nouvelles ruines apparaissent. Des ruines modernes.

J’espère que les futurs visiteurs approcheront ces ruines avec le même regard ému que celui que nous avons pour celles que nous ont laissées les anciens swahilis.