Nous nous enfonçons dans le sud profond. Lors du trajet entre Nashville et Memphis, les pancartes Make America Great Again sont  devenues fréquentes et sont désormais les seules pancartes politiques visibles. Exit Hillary. Exit Bernie.

Nous avons bu un thé glacé chez un commerçant, qui nous a accueilli comme à la maison, très amical et chaleureux, mais aussi avec son beretta à la ceinture, l’étui toujours ouvert et la main jamais loin. Des signaux contraires, donc. Dans son magasin, une décoration de type brocante, surmontée par un drapeau sudiste "Heritage Not Hate", et une affiche célébrant une diversité assez… explosive !

C’était encore le Tennessee et ce n’était qu’un timide avant-goût de ce qui nous attendait en Arkansas.

The Natural State

Nous arrivons à Mountain View, autoproclamée capitale mondiale du folk, charmante petite ville figée dans le temps. Je dis à Jane : Si on retire les voitures modernes, on pourrait être 50 ans en arrière. Elle ajoute : 100 ans si on retire aussi les chaises en formica. En effet.

C’est le genre de coin, courant aux États-Unis, où il n’y a qu’un seul fromage qui s’appelle cheese, et qu’un seul type de café, le coffee. Et où commander un expresso te colle l’étiquette liberal.

Le genre de coin où il y a eu plus de votants pour Trump (pourtant encore en compétition avec 12 candidats) à la primaire des Républicains, que de votants tout court à celle des Démocrates.

Le genre de coin qui a comme devise :

We believe in god
Honor our vets
Love our flag
Respect our citizens
Cherish our freedoms
Enjoy our music

Le genre de coin où les commerces arborent des pancartes célébrant le militarisme et l’auto-défense. Le racisme même, sur certains panneaux 4x3 à la sortie de la ville. À Stone County, il y a 97% de blancs, 1% de latino, 0% de noirs. Zéro pour cent. Oh – My - Gosh !

Le genre de coin qui arbore le drapeau sudiste, mais où le message "Heritage Not Hate" est remplacé par "Never Surrender", "Rebel And Proud" ou "The South Will Rise Again".

Arkansas nice

Alors, c’est sûr, les gens ont été tous très sympas et accueillants avec nous, et ils ont eu l’air sincèrement flattés que des français viennent les visiter. Et ça m’a fait quelque chose de voir la population se réunir chaque soir dans les kiosques et parcs de la ville, pour chanter des chansons folk intemporelles, célébrant le sud éternel avec beaucoup de talent et de sensibilité.

Mais, quand même, il y a quelque chose qui cloche.

Au café, mon voisin de comptoir est éclopé, comme beaucoup de monde dans cette ville qui semble attirer les vétérans. Il cache son visage usé par le soleil et les chagrins, sous un chapeau de cow-boy et une magnifique moustache grise. Il a du quitter le Texas pour fuir une poursuite judiciaire. Ce n’était pas facile. Mais il se plaît en Arkansas car le port d’arme y est beaucoup plus libre. Il habite au bout de la route et occupe ses journées en tirant sur les ours qui passent dans le coin. Il aimerait voyager lui aussi, aller au Canada par exemple. Il a bien essayer une fois mais il a été bloqué à la frontière : on ne l’a pas laissé entrer avec ses fusils.

Il me demande si j’aime l’Arkansas. Je lui répond que oui. Il me ne me croit pas et quitte le bar en souriant et en boitant.

Dries counties

Mais revenons quelques heures en arrière. Tout juste arrivés en ville donc, nous nous installons à la pizzeria pour boire un soda et chercher un hôtel sur les miettes d’internet qui arrivent jusqu’ici. J’en profite pour demander à la serveuse quel est le bar le plus sympa de la ville. Elle est mal à l’aise et me dit : « Je ne comprend pas ». « Où je peux boire un coup ce soir ? ». Elle, bégayant : « Je suis confuse ». Croyant que mon accent super frenchy est le fautif, j’insiste : « Un bar... avec de l’alcool... ». Elle rougit et ne répond pas.

Nous allons finalement manger en face. Je commande une bière mais ils n'en ont pas. Jane demande du vin, sans plus de succès. Il n’y a pas d’alcool à Mountain View. La vente est interdite dans tout le comté. On peut en boire, chez soit seulement, mais il faut en acheter ailleurs. La première boutique est à plus de 30 miles (50 km). La ville fait partie d'un dry county, comme 70% du territoire de l'Arkansas.

Après la fin de la prohibition en 1933, les comtés qui souhaitaient prolonger ou reconduire l'interdiction l'ont fait. Comme disent les gens d'ici : "Dry counties, know before you go!". Now, I know.