Suite à ma mésaventure à la frontière sud-africaine, je suis revenu à Gaborone. Et ma frustration s’est vite transformée en joie de revoir les copains que je venais de quitter, et de passer 6 jours de plus avec eux.
Vous les copains
J'essaye de rencontrer des locaux dans tous les pays que je visite, idéalement dans toutes les villes. Mais ce n’est pas souvent que je rencontre une petite équipe aussi sympathique qu’à Gaborone :
- Simba du Zimbabwe, rencontré a Windhoek, un entrepreneur qui m’héberge dans sa petite maison du bloc 8
- Kai du Japon, un routard qui fait le tour du monde en 10 ans et que j’avais aussi déjà croisé en Namibie
- Nino du Kenya, un professeur de français qui est un puits de culture et qui m’héberge aussi de temps en temps
- Tynash du Zimbabwe, un pianiste qui m’a donné un coup de main sur un futur titre de Temple Fren. Il réside illégalement au Botswana et a mystérieusement disparu la semaine dernière (je suis le dernier à l’avoir vu). Simba pense qu’il a été reconduit.
- Bottle du Botswana, la copine de Nino, une géographe qui partage mon goût pour l'Amarula Gold et qui est très excitée par son prochain voyage en Inde
- Emmanuel du Zimbabwe, un DJ / infographiste qui s’apprête à installer un serveur Linux sous son lit
- Et aussi : Thomas du Kenya, Peace Abera de Tanzanie, Bonnie d'Afrique du Sud…
A part Kai, que des africains, que des noirs.
The whitest man in Gaborone
Depuis 4 mois, comme je voyage souvent hors des sentiers battus, j’ai l’habitude d’être le seul blanc : le seul blanc dans le bus, le seul blanc dans le bar, le seul blanc à l’hôtel, le seul blanc du village…
A quelques reprises, dans des coins parfois pas si reculés, j’ai vu des enfants fondre en larmes devant moi et leur parents s’excuser avec beaucoup de gène, "tu es le premier blanc qu’il voit", avant de s’échapper avec le bambin.
A Gaborone, les blancs botswanais (3% de la population) sont presque invisibles. Ils ont leurs propres lieux de socialisation et ne se déplacent qu’en voiture individuelle.
C’est pour cela que mes longues ballades avec Simba ne sont pas comprises. Les botswanais abordent mon ami zimbabwéen en le prenant pour un "guide" malicieux, une sorte de beach boy de la savane. Simba, un peu vexé, prend le temps d’expliquer que nous sommes deux copains ayant fait les 400 coups en Namibie, mais cette amitié semble trop improbable pour être honnête.
Vanilla Ice
Que je sois faranji ou mzungu, la division raciale était jusqu’à récemment très caricaturale. Blanc ou noir, noir ou blanc, le ridicule d'une telle dichotomie apparaît vite et les situations clivantes finissent souvent dans les rires.
Depuis la Namibie, cependant, le sujet semble plus important et le vocabulaire plus précis : vanilla, caramel, chocolate et dark chocolate.
Et pourquoi pas milk, pour différentier les britanniques laiteux de la table d’à côté de mon teint plus méditerranéen ? La réponse : "Un blanc est un blanc, vous êtes tous pareil pour nous". J’ai eu la même discussion ici à Gaborone, et seul Nino a semblé accepter l’idée qu’il y ai plusieurs teintes de blanc, que les andalous soit distinguables des varmlandais.
Ça m'a rappelé la péruvienne qui disait que j’étais blond...
Ebony and ivory
J’étais seul dans un bar quand un colosse s’approcha de moi pour me poser cette étrange question : quelle est la meilleure race, la blanche ou la noire ? Ne me sentant pas d'attaque pour démonter le concept de races humaines, démontrer l'existence d'un continuum, ou expliquer la grande variabilité génétique de la couleur de peau, j'ai botté en touche.
Même mes copains n’échappent pas à quelques maladresses, attribuant avec tendresse certains de mes comportements duriens, français, latins ou européens à ma couleur de peau. Je me fâche : "Ah bon ? Parce qu'ils font pareil les blancs de Gaborone ?" Et bien non !
Par exemple, ma tenue vestimentaire a été source de commentaires amusés. Un jean gris avec une chemise à motifs sous un petit pull en laine ? So white ! Moi : "Quand vous me rendrez visite à Paris, vous verrez des noirs habillés comme ça". Eux : "Noooooooon !?!" Et bien oui !
Oh lord, why don't we?
Demain, je retente la traversée de la frontière sud-africaine, sans être sûr de réussir. Ce matin, j’ai récupéré mon nouveau passeport à l’ambassade. Il a bien 16 pages vides... mais pas de puce biométrique. Je vais donc de nouveau dépendre de leur humeur capricieuse.
Si tout se passe bien, je vais visiter le pays qui a tristement symbolisé la division raciale au XXème siècle. Et qui a bien galéré ! Au début, les ségrégationnistes croyaient avoir avec eux la réconfortante simplicité de l’évidence, en séparant la nation en 3 races (blancs, colorés et noirs).
Mais ce système s'est évidemment complexifié tout le long de l'apartheid. Le statut socio-économique et le mode de vie se sont révélés aussi nécessaires que la couleur de peau pour diviser la population. De nouvelles races ont été introduites : cape coloured, malais, griquas, chinois, indiens, autres asiatiques et autres colorés... Sans compter la division des blancs entre boers, anglais et... japonais/coréens !
Être condamné à recréer le continuum, voila ce qui arrive quand on veut classifier l’indivisible.
Le tribunal des caméléons [ajout du 7 décembre]
Leur système était si fragile qu'ils ont du mettre en place le "tribunal des caméléons", permettant à certains qui ne se reconnaissaient pas dans la race qui leur a été attribuée de la changer. En 1985, par exemple, au moins 1000 personnes ont "changé de race" :
- 702 colorés sont devenus blancs et 19 blancs sont devenus colorés
- 1 indien est devenu blanc
- 3 chinois sont devenus blancs
- 50 indiens sont devenus colorés et 43 colorés sont devenus indiens
- 21 indiens sont devenus malais et 30 malais sont devenus indiens
- 249 noirs sont devenus colorés et 20 colorés sont devenus noirs
- 2 noirs sont devenus asiatiques
- ...
La negrita [ajout du 7 décembre]
Arrivé à Johannesburg, je rencontre Monica, une brésilienne qui ne parle que portugais et qui est complètement perdue, pauvre chou.
Les brésiliens ont aussi développé une catégorisation raciale très détaillée : branca, loira, clara, galega, castanha, morena, jambo, mesticam, parda, sarara, canela, mulata, bugre… Mais Monica me dit que ces notions tendent à disparaître, "au fur et a mesure que tout le monde se mélange".
Nous visitons ensemble le Musée de l’Apartheid, qui a une entrée pour les blancs, et une pour les noirs. Elle passe dans la seconde et je la suis, ce qui l’offusque : "Non, non, toi tu dois passer dans celle pour les blancs". Je lui prend la main, nos doigts entremêlés ont exactement la même couleur. "Tu vois, tu es aussi blanche que moi", mais elle me répond : "Non, moi, je suis une negrita".